Pourquoi critiquer le travail et l'emploi ?
L'emploi est une notion récente dans l'histoire de l'humanité. De plus, l'emploi a été/est nécessaire à l'avènement de classes extrêmement enrichies sur le dos des classes prolétaires. A partir du XVIème siècle en Angleterre est né le mouvement des enclosures (enclôturage) qui s'est traduit par l'expropriation violente des paysan.ne. et artisan.ne.s de leurs habitations ainsi que des terres très souvent communales au profit de la classe bourgeoise possédant de grandes exploitations lainières. En effet, les riches marchands se sont alors appropriés de nombreuses terres mais aussi la force de travail des personnes expropriées qui n'avaient plus d'autre choix pour subsister que d'aller trimer dans les manufactures 16h sur les machines (les enfants aussi!) (Silvia Federici, Starhawk) C'est ce qu'on nous apprend à l'école sous le terme de "révolution industrielle" qui n'a de révolutionnaire que le nom…
D’ailleurs, c’est bien depuis le processus d’industrialisation qu’il est exigé au peuple de consacrer autant de temps au travail productif. Contrairement à une idée reçue, on travaille plus aujourd’hui qu’au Moyen-âge, ce afin de « ponctionner le moindre temps de vie disponible du prolétaire pour générer des profits. Cette logique va devenir la norme en société jusqu'à aujourd'hui, si bien que ceux qui veulent prétendre à la liberté sont rapidement perçus comme des oisifs, des gens "hors société". Il fut d'ailleurs rapidement observé qu'un travailleur trop libre était un travailleur ayant le temps de réfléchir, donc de s'indigner des injustices qu'il subissait, voire même de s'organiser pour retrouver sa liberté perdue : des vacances. Pourtant, la promesse de l'industrialisation et du progrès fut vendue publiquement comme une libération : celle d'une vie plus simple, plus libre, moins laborieuse. En vrai, nous travaillons plus que jamais en heures prestées alors qu'un individu produit à lui seul plusieurs dizaines de fois plus de richesses qu'un même individu au Moyen Age. Mais alors, où va cette richesse produite ? C'est là la seule et véritable question. Nous ne travaillons pas pour un monde plus libre et moins laborieux, nous travaillons pour générer des richesses concentrées dans une partie de la population qui, elle, sait très bien comment devenir libre.»[1]
Malgré cela, aujourd'hui, plus de la moitié de la société capitaliste s'organise déjà grâce à une forme de communisme spontané en dehors du travail marchand, d'après David Graeber (Une histoire de la dette). L'idéal pour nous serait une société qui s'auto-organise dans son entièreté (à l'échelle des communes, des vallées par ex) et débarrassée des institutions et de l'état. En fait, historiquement, on sait qu'en Europe, les sociétés pré-industrielles s'organisaient à l'échelle communale à travers une économie de subsistance et de marché. C'est encore le cas dans beaucoup de régions du monde.
Des mouvements de chômeurs
Nous avons dans notre histoire récente un exemple avec le mouvement de chômeurs de 1997-1998, commencé en Décembre 1997 à Marseille autour de revendications pour une prime de Noël de 3000 Frs, soit environ 460€ (malgré l'inflation, la prime est toujours à 150€ depuis ses débuts en 1998) ou la revalorisation des minimas sociaux, mouvement qui bénéficie d'une grande popularité auprès des travailleur·euses, et qui dérape (pour notre plus grand plaisir) sur la critique du travail avec comme slogan notamment "on ne veut pas du plein emploi mais d'une vie pleine".
Ce mouvement décentralisé, comptant plus de 150 collectifs de chômeurs précaires de différentes tailles, comme l'a fait plus récemment le mouvement anti-CPE, a su sortir de la routine des manifestations hebdomadaires, s'émanciper des syndicats, exprimer sa colère de manière créative et radicale sous de nombreuses autres formes :assemblées de chômeurs, dont la plus connue fût celle de Jussieu, occupations d'administrations, du PS, autoréductions dans les supermarchés, séquestration d'élus, football sauvage dans les rues - boulevards, publication de nombreux textes ... et ce dans de nombreuses villes à travers le territoire avec la revendication de la gratuité des transports et services publics de santé, d'un revenu garanti dès 18ans pour tou·tes mais aussi le refus de la politique de contrôle social des chômeurs.
Dans ces assemblées, où l'on prend le temps de discuter, de s'auto-former, réfléchir à ce que l'on veut et ne veut pas, émerge et se diffuse une critique anti-capitaliste du travail et de la production. Ces assemblées revendiquent des conditions de vie décentes pour tou·tes, l'utilité sociale de nos activités, l'autogestion et l'entraide.
Dans le même temps en Allemagne émerge en 1996 le mouvement des Chômeurs Heureux, collectif situationniste qui occupe l'espace public de manière provocatrice, avec des transats et parasols, pour rappeler comment et pourquoi le chômage peut être heureux, mais a aussi écrit le "manifeste des chomeurs heureux" lu dans l'espace public, disponible en ligne et publié qui revendique pourquoi on peut être Chômeur·euse Heureux·se !
Et aujourd’hui ?
Aujourd'hui la critique de l'emploi n'a pas beaucoup d'espace dans notre société, et la droite et la gauche libérale veulent nous contraindre à travailler toujours plus pour moins gagner! Les conditions de l'allocation chômage se durcissent et le RSA est menacé à moyen terme de disparition, dans la globale indifférence générale, y compris des syndicats, fragilisés par les compromissions de leur direction nationale avec le néo-libéralisme et qui ne pensent qu'à l'emploi.
Les chômeur·euses et précaires sont isolé·es, non représenté·es, stigmatisé·es dans notre société, et les luttes pour les droits des chomeur·euses ne sont pas aussi populaires que celles pour la retraite ou le droit du travail. Pourtant nous sommes des millions et nous avons du temps pour s'organiser et se défendre contre la précarisation et le flicage de nos vies! Des collectifs de précaires se créent d'ailleurs ici et là pour défendre nos droits et porter un autre regard sur le travail !
[1] Source : https://www.partage-le.com/2022/01/09/sommes-nous-plus-libres-que-nos-ancetres-moyenageux-par-romuald-fadeau/